Traverser le Canada en train
Samedi 7 novembre 2015, 22h. L'excitation est à son comble en gare de Toronto! Nous allons emprunter "Le Canadien", ce train quasi légendaire qui relie Toronto à Vancouver en 4 nuits et 3 jours. Ça fait un moment que nous en rêvons! Nous enregistrons notre bagage principal pour Vancouver, et n'emportons que le strict nécessaire en cabine, histoire de ne pas encombrer inutilement l'espace dont nous disposerons. C'est parti pour l'aventure!
L'installation à bord d'un train mythique
Nous avons opté pour la classe "Voiture-lit Plus" pour deux personnes. Notre cabine fait approximativement 2,20m sur 1,50m, incluant une toilette privée et un lavabo. La journée, deux fauteuils confortables installés près de la grande fenêtre avec store nous promettent de belles découvertes des paysages. La nuit, les fauteuils sont repliés et remplacés par deux couchettes superposées.
A peine le temps de prendre ses marques que Victor, notre préposé de cabine, vient se présenter et s'assurer que nous sommes bien installés. Il nous invite à rejoindre la Voiture Parc à l'arrière du train, où nous attend le champagne, avec quelques chocolats! Nous découvrons les espaces bar et salons, qui promettent de beaux moments de convivialité, et la section panoramique à l'étage... où nous reviendrons plus tard car il fait nuit noire. Premiers échanges... Sur une brochure laissée sur la table, vantant la convivialité de l'expérience en train, nous lisons, amusés, que "les passagers de ce train seront bientôt tous nos amis"! Chiche!
De retour à notre cabine, nous testons sans tarder la couchette, qui semble bien confortable, en tout cas pour des personnes de taille raisonnable (le matelas fait 180 x 79 cm). La literie est fournie; de petites pochettes de rangement permettent de garder un bon bouquin à proximité. Le train est déjà en vitesse de croisière et le bercement nous plonge rapidement dans les bras de Morphée.
Première journée entre lacs et forêts
Dimanche 7h30, nous levons le store sur des paysages infinis de lacs et de forêts! Inutile de vous préciser que nous avons parfaitement bien dormi. Oui, les matelas sont confortables, et nous sommes fins prêts pour cette journée complète de traversée des lacs du nord de l'Ontario et de la majestueuse forêt boréale.
Le moment est venu de tester la douche, que nous partageons avec les cabines voisines (une douche par voiture). Tout est extrêmement bien organisé : nous trouvons dans notre cabine une trousse de toilette personnelle (serviettes et savons) à emmener; l'espace (un premier compartiment pour se changer, puis la douche proprement dite) est appréciable; l'eau est chaude, que demander de plus? Nous rejoignons le wagon restaurant et partageons l'omelette du chef avec une dame mexicaine et son fils, qui s'offrent le voyage pour fêter l'anniversaire du fils. A notre retour à la cabine, Victor a replié les lits et installé les fauteuils.
Notre matinée se passera les yeux rivés sur les paysages, entre le confort calme de la cabine et les moments partagés dans la voiture panoramique. Ici, les fenêtres s'étendent jusqu'au plafond et permettent une véritable immersion dans la forêt boréale : saisissant ! Nous aurons droit à un arrêt improvisé à Foleyt (c'est-à-dire au milieu de nulle part) : le train a pris de l'avance, ce qui nous vaut une pause au grand air pour nous dégourdir les jambes!
L'appel retentit déjà pour le dîner, organisé selon deux tranches horaires, que l'on choisit en entrant dans le train. Potage ou salade du jour, plat principal à choisir parmi 4 propositions aux saveurs locales (dont une végétarienne), deux choix de dessert, café ou thé : voilà ce qui nous attend à chaque repas! Ici, tout est fraîchement cuisiné à bord par un chef talentueux, qui a d'autant plus de mérite que son espace de travail est restreint et que tout bouge sans cesse! Nous partagerons cette fois le repas avec un avocat de Vancouver, qui prend régulièrement Le Canadien ... pour avoir la paix! Nos conversations tourneront autour de l'absence du Wifi dans le train (que lui et nous apprécions, mais tout le monde ne partagera pas cet avis!), des risques de l'hyper-connectivité ... et du ressourcement bienfaisant que procure la traversée du pays en train!
Un arrêt d'1h à Hornepaye (prévu celui-là... et nous sommes toujours en avance sur l'horaire) nous fait découvrir que la température est bien douce pour un début novembre! A notre retour dans le train, nous avons droit à un concert d'une bonne heure! Une musicienne est à bord, en route pour une tournée dans les Prairies, et propose dans la voiture "skyline" quelques morceaux de son répertoire, au banjo ou au violon. Chaque chanson évoque son pays et suscitera des échanges joyeux avec le public, composé majoritairement de canadiens! Nous souperons cette fois avec Katty et Jim, qui vivent eux à Victoria, expérimentent le train pour la première fois, et savourent le récent changement de gouvernement canadien, qui représente tellement mieux les gens! Nous nous rendrons compte en rentrant à notre cabine – retransformée par les soins de Victor – que la première journée de train est déjà terminée et que nous n'avons même pas eu le temps d'ouvrir le premier livre de la pile que nous avons emportée!
Winnipeg et la traversée des Prairies
Après une nuit paisible, le soleil se lève sur un décor totalement différent, celui des vastes prairies du Canada : nous avons atteint le Manitoba, reculons nos montres d'1 heure et savourons ce temps prolongé en mitraillant les paysages depuis notre couchette. Vite, une douche, car à 8h, nous entrerons en gare de Winnipeg (le train est à l'heure!) pour un arrêt de 4h, permettant un nettoyage du train et un changement complet de l'équipe Via Rail (cuisine et services). Comme la gare est en plein centre ville (ce qui n'est malheureusement pas toujours le cas au Canada), les passagers en profitent généralement pour faire une visite, de manière organisée ou librement. Nous allons saluer notre amie Michelle, fabuleuse guide à Winnipeg, et grande défenderesse de la riche culture franco-manitobaine. Puis nous retrouvons notre amie Natalie, de Tourisme Winnipeg, pour un sympathique "petit déjeuner d'affaires", permettant de faire le point sur nos projets respectifs! Le temps est absolument magnifique, et nous en profitons pour faire une balade à La Fourche (lieu historique national du Canada), située au confluent des rivières Rouge et Assiniboine, et témoin de nombreux événements clés de l'histoire de l'Ouest canadien. Nous avons une vue fabuleuse sur le nouveau Musée des Droits de la Personne, que nous rêvions de visiter... avant d'apprendre qu'il était fermé le lundi hors saison. L'occasion de promettre à Michelle et Natalie que nous ne serons pas longs à revenir visiter leur magnifique ville !
11h45, c'est reparti! John a remplacé Victor pour prendre soin de notre cabine, et nous faisons connaissance avec la nouvelle équipe Via Rail, qui compte toujours l'une ou l'autre personne s'exprimant en français! Au dîner, devant des brochettes de pétoncles et scampis, sauce aux baies de Saskatoon, nous faisons la connaissance de Bob et Shirley, justement originaires de Saskatoon, mais partis depuis plus de 20 ans à Ottawa pour raisons professionnelles. Aujourd'hui retraités, ils ont fait le choix (un peu à contrecœur semble-t-il) de rester à Ottawa, et viennent visiter leurs enfants, qui eux se sont entretemps installés près de Vancouver! Ils nous parleront des Prairies et de l'évolution de l'agriculture : autrefois, on observait ici, en plus des céréales, de nombreux cheptels de bœufs, de moutons et même de porcs! Mais ces fermes étaient peu rentables économiquement et ont été rachetées par de grosses entreprises, qui ont opté pour les céréales, plus rentables financièrement et offrant une meilleure qualité de vie aux travailleurs du monde agricole.
Le résultat : on ne verra que quelques troupeaux de bœufs et de chevaux. Les paysages des prairies – du moins lorsqu'on se dirige vers le nord-ouest du Manitoba - sont bien plus ondulés que ce qu'on nous dit généralement, les points d'eau sont rares (cela nous change des milliers de lacs de l'Ontario!) et seuls quelques massifs de bouleaux "coupent" les vastes espaces céréaliers (et cela nous change de la forêt boréale!). Le soleil se couche, avec quelques cerfs de Virginie dans le décor, alors que nous approchons de la frontière de la Saskatchéwan. Le train fait de nombreux arrêts (Via Rail partage la voie avec des trains de marchandises et doit à l'occasion leur céder le passage). L'arrêt de 25 minutes prévu à Saskatoon à 22h (et tellement attendu par nos amis Bob et Shirley, qui veulent sentir l'air de leur ville natale... et fumer une cigarette avant la nuit!) se fera finalement à plus d'1 heure du matin... et seul Bob aura le courage d'attendre!
Verrons-nous les Rocheuses avant la fin du jour?
Mardi, nous nous réveillons vers 7h, après avoir à nouveau reculé nos montres d'une heure (ça devient une routine!) et avec la sensation d'une nuit "mitigée", assez secouée par de nombreux ralentissements et arrêts. Et oui, quand le bercement du train s'arrête... on a tendance à se réveiller! Nous devrions être à Edmonton (Alberta) .... mais nous passons tout juste la frontière entre la Saskatchéwan et l'Alberta, avec 5h de retard sur l'horaire prévu. Le trafic de marchandises a été intense toute la nuit, obligeant notre train à se mettre régulièrement en voie d'attente! Ici, personne ne semble s'affoler (que sont 5h dans une vie, quand on a tout le confort autour de soi?). D'autant plus que personne ne compte vraiment sur la pause à Edmonton (la gare est éloignée du centre ville, et le temps d'arrêt prévu ne permet donc pas de visiter la ville). Et que c'est aujourd'hui le jour du brunch! Dès 9h, la voiture restaurant s'anime, les raviolis farcis au homard rivalisent avec les œufs bénédictines et autres préparations du chef... qu'on ira féliciter en jetant un coup d’œil à ses installations (il adore ça!). La lumière matinale est sublime sur les troupeaux de bœufs de l'Alberta (et ici, ils sont en nombre!). Les fumeurs auront droit à 15 minutes d'arrêt à Edmonton en milieu de matinée, avant que le train ne se lance à l'assaut des Rocheuses.
L'excitation monte peu à peu, chacun prend position dans les voitures panoramiques pour être le premier à voir les sommets enneigés pointer à l'horizon! Le trafic de train de marchandises (qui a la priorité sur nous, pour cette portion de trajet) fera durer le plaisir, à tel point que quelques-uns se demanderont si l'arrivée à Jasper (prévue initialement à 13h) aura lieu avant le coucher du soleil. L'observation de cerfs et de wapitis nous tiendra en haleine, de même que les nombreuses explications données par le personnel de cabine sur l'histoire et la culture des régions que nous traversons. Petit à petit, les montagnes prendront tout l'espace autour de nous... Nous arriverons à Jasper à la tombée de la nuit, vers 17h45 et auront droit à un arrêt de 45 minutes, le temps pour l'équipe Via Rail d'embarquer/débarquer quelques passagers, et pour nous de faire un petit tour dans le centre (et pour certains, de courir à une pâtisserie réputée, avant qu'elle ne ferme!).
Au souper, l'ambiance reste détendue. Ceux qui regrettent de rater les plus beaux morceaux des Rocheuses, sur le tronçon entre Jasper et le Mont Robson, se réconfortent en se disant qu'ils verront mieux demain matin la Colombie Britannique, et peut-être le canyon du fleuve Fraser que l'on passe généralement de nuit. Les paris vont bon train sur la capacité du train à rattraper son retard, qui n'est déjà plus que de 4 petites heures! On essaie de "terminer" notre découverte de la carte des vins, en testant ce qui n'a pas encore pu l'être... On trinque à ce dernier souper, en gardant secrètement l'espoir d'un dîner supplémentaire le lendemain, si l'arrivée à Vancouver est plus tardive que prévue!
Et déjà, le Pacifique !
Au réveil, on passe à l'heure du Pacifique en reculant nos montres d'1h avec un petit pincement au cœur (ce sera le dernier changement d'heure du voyage!). Il n'est pas encore 7h, on s'empresse de lever le store pour que le paysage nous révèle notre position... Bonheur total : à quelques pas de nous, sous de jolis bancs de brume, l'impétueux fleuve Fraser se fraie un passage de plus en plus étroit entre les murs de roc. Nous devons approcher des "Portes de l'Enfer" dont nous reconnaîtrons bientôt les bâtiments aux toits rouges et le pont suspendu qui offre une vue incroyable sur le canyon! Du train, on se sent véritablement partie prenante de ces paysages extrêmes, qu'on continuera à apprécier devant notre dernier petit déjeuner.
A Hope, un rapide coup d’œil à l'horaire nous révélera que le retard s'est réduit à 2 petites heures, et nous faisons progressivement le deuil d'un repas supplémentaire dans le train! Nous entrons à présent dans la riche vallée agricole du fleuve Fraser. Nous ne manquerons pas une miette des derniers paysages que le train nous offre avant la ville : aigles à tête blanche et balbuzards, petits bateaux de pêcheurs sur le fleuve, flottage du bois, vignobles...
Nous récupérons nos bagages en gare de Vancouver avec ce sentiment que tout cela est passé si vite! Durant quatre nuits et trois journées, ce train légendaire a véritablement tenu ses promesses : paysages à couper le souffle et d'une variété inouïe, confort, service attentionné, table délicieuse, et moments d'échanges mémorables avec des gens de tous horizons. Une magnifique aventure!
Photos Go to Canada